Mohammed Morsi premier président égyptien élu au suffrage universel. Et maintenant ?

Affiches électorales, Helwan, banlieue du Caire.
Mohammed Morsi, le candidat des Frères Musulmans à l’élection présidentielle égyptienne a donc été élu au 2e tour avec un peu plus de 13 millions de voix et donc 51,73% des votes exprimés. Les Égyptiens ont élu un président civil pour la première fois de leur histoire et surtout, ils ont confirmé leur rejet du régime « kleptocratique » et ultra-autoritaire représenté par Ahmed Chafik, dernier premier ministre d’Hosni Moubarak. La proclamation des résultats par Farouk Sultan, hier en milieu d’après-midi, a été interminable. Dans un café du centre du Caire, on a vu des gens se tenir la tête durant de longues minutes. Dans une société habituée au bruit continu et aux conversations téléphoniques sans aucune gêne, on m’a même un moment fait taire alors que je chuchotais au téléphone avec un ami, c’est dire. Le président de la commission électorale a commenté en direct les décisions portant sur les plus grandes plaintes pour fraudes des deux candidats dont la plupart ont été tout simplement rejetées, ne modifiant pas l’issue du scrutin. Puis on a vu les scènes de liesse populaire, suivies hier soir du discours historique, qui se veut rassembleur, de Mohammed Moursi, dont on peut trouver une traduction en anglais ici. Un fait quand même curieux c’est qu’en me baladant dans la rue à ce moment là, on pouvait entendre le discours en fond, sur les télévisions, sur les radios des taxis qui passaient et celles des kiosques de rue. Un gamin, devant une échoppe de tabac, récitait certaines phrases… avant qu’elles ne soient prononcées ! Depuis hier en tout cas, on peut sentir en rue, au travail et dans les médias en général, un certain sentiment de soulagement, même auprès des « die hearts » anti-ikhwan (« frères »). Il est vrai que les derniers jours avaient été très tendus et l’heure est aux félicitations et autres salamalecs en attendant probablement la reprise des hostilités. La bourse du Caire a également réagi avec allégresse dans la perspective d’une plus grande stabilité du pays, elle a ainsi progressé à la clôture hier de 7,4%, un quasi record absolu en une seule journée.

Place Tahrir, peu après l'annonce des résultats (photo: journal al hurrya w al adallah)
Il y a deux développements qui donnent des raisons d’espérer. Mon propos est que la classe politique tend vers un équilibre pluraliste, représentant les diverses tendances de la société égyptienne, l’une des conditions importantes pour la transition vers une société démocratique.

D’une part, la nouvelle constitution doit toujours être écrite. Elle doit notamment délimiter… les prérogatives présidentielles et la distribution des pouvoirs. En attendant, les pouvoirs du président sont très limités par la déclaration constitutionnelle du Conseil Supérieur des Forces Armées (CSFA). Néanmoins, il semble qu’une situation dans laquelle le Parti de la Liberté et de la Justice (PL&J – bras politique des Frères Musulmans) est à l’exécutif et a besoin des autres forces pour gouverner, est plus propice en vue d’atteindre un consensus plus général sur la constitution. En effet, avec l’exécutif et le parlement, le parti serait le principal responsable de la prochaine période de transition qui s’annonce extrêmement difficile à gérer en raison de la situation économique. On s’attend par exemple à une explosion du prix du carburant en raison de la coupe dans les subsides opérée par le gouvernement Ganzouri (sortant) pour le nouveau budget qui doit être signé par le CSFA avant le 30 juin. Il y va de l’intérêt du PL&J de faire du premier véritable gouvernement post-révolution un gouvernement d’union nationale, et de céder d’importantes concessions auprès de figures notamment libérales pour qu’elles acceptent d’entrer dans un gouvernement où elles auraient tout à perdre. Le parti détient une quasi majorité absolue au Parlement (sous réserve de réélections d’au moins un tiers de l’assemblée) et si il tend la main au centre vers des partis et candidats à tendance laïque / civile pour constituer son cabinet, et pour autant que ceux-ci acceptent, cela apaiserait déjà de nombreuses craintes. Tout autre schéma (course solitaire, volontaire ou forcée, ou gouvernement purement technocrate) mènerait probablement à des élections anticipées à court terme, notamment sous la pression de la rue. En quelques sortes, les conditions fixées par le Conseil Militaire, en vidant les institutions civiles quasi de leur contenu (exécutif, législatif et s’arrogeant de larges pouvoirs judiciaires), obligent les forces politiques à aller chercher ou véritablement arracher, ensemble, leurs prérogatives auprès du leadership militaire. Ceci ne garantit rien, mais ces forces politiques, ces courants civils, gagneront ou perdront de concert.

D’autre part, et sous condition bien entendu que des élections libres et équitables soient garanties, au plus tard en 2016 (parlement) et en 2018 (présidence)[1], sans compter les élections locales et régionales à la fin de cette année, les forces révolutionnaires et d’opposition encore sous-représentées au parlement (dissolu), ont une large opportunité de s’organiser, de développer des mouvements qui soient ancrés dans la société et d’agrandir leur base de militants. Aussi, avec quasi 60% des votes dirigés vers des candidats dits laïcs au premier tour des élections présidentielles (il est vrai, sans candidat officiel direct des partis salafistes), il apparaît clairement que le vote en Egypte n’est pas par nature « islamiste » (par opposition aux 70% de votes pour les Frères Musulmans et les salafistes aux élections parlementaires). On peut émettre comme hypothèse qu’il s’agit essentiellement d’un problème d’organisation des autres partis (en dehors de l’ex-PND) qui n’ont pas encore véritablement d’ancrage profond dans la société et suffisamment de militants pour viser des électeurs pour couvrir au total plus de 13.000 bureaux de vote. Le succès dans des élections démocratiques tient aussi à la mise au point d’une bonne machine partisane et il est évident qu’entre les élections parlementaires de l’hiver dernier, et les présidentielles, on a vu des progrès considérables en terme de marketing politique.

Nous avons « découvert » de nouvelles figures politiques populaires dont on entendra beaucoup parler dans les années qui viennent, des hommes (on attend les femmes) qui vont vite acquérir une dimension d’Etat et rendre le choix plus démocratique et pluraliste. Nous avons deux candidats proches des 20% au premier tour, non issus de l’ancien régime ni des Frères Musulmans, qui ont obtenu respectivement 6 et 4 millions de voix, ce qui est énorme : Hamdeen Sabahhi, Aboul Foutouh. D’autres figures potentiellement fédératrices se sont également déjà imposées dans le paysage politique, comme Mohammed El Baradei qui a lancé un nouveau parti, El Doustour (la constitution), qui se veut rassembleur au centre, tout comme le parti islamo-libéral, El Wassat ou encore El Adl. Des figures réformistes ont émergé des différents partis et d’autres ont fourni un excellent travail au parlement en même pas 6 mois et contrairement à la propagande répandue voulant que le parlement aurait été inutile. Il y a enfin et surtout une jeune génération extraordinaire, islamiste ou non, qui a besoin de s’inclure en politique de manière structurée, qui va acquérir des responsabilités dans le secteur privé et public et toutes ces forces seront encore plus préparées pour les prochaines échéances et élections, qui ne sont pas un but en soi. La transformation se joue bien entendu à un autre niveau, plus sociétal et les élections n’en sont que le reflet.

Couverture du journal Al Masri Al Youm, 26 juin 2012: Moursi, premier président civil pour l'Egypte.
L’UE et la plupart de ses Etats Membres ont soutenu la dictature en Egypte au moins depuis 30 ans. Nous l'avons encore vu durant ces élections. La présence du candidat Ahmed Chafik au second tour des élections aurait du être condamnée unanimement, comme la dissolution largement abusive du parlement par le conseil constitutionnel (composé de caciques du régime), et la déclaration constitutionnelle intempestive du conseil militaire, deux jours avant le deuxième tour des élections. Il est grand temps d’adopter une nouvelle approche, car à long terme, les Egyptiens, comme les Européens, trouveront avantage à connaître une Egypte démocratique et libre, gouvernée par la volonté de ses citoyens.


[1] Selon les termes constitutionnels qui pourraient être revus. 

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