Répéter les pratiques du passé quand elles ne marchent pas

La Banque Européenne pour la Reconstruction et le développement a produit en novembre une évaluation technique du développement et du processus de démocratisation égyptien.  L’évaluation établit une stratégie pour les projets futurs dans des domaines spécifiques.[1] L’organisation Initiative Egyptienne pour les Droits Personnels, se livre à une analyse critique de ce document et rappelle des éléments cruciaux dans le contexte de la révolution commencée en janvier 2011.


L’Egypte a un besoin urgent de cash à court terme, et étant donné que les institutions financières internationales sont les seules à pouvoir leur fournir ces liquidités immédiatement, et en absence de ligne claire actuellement de la part des autorités égyptiennes de transition, il se peut que les grandes lignes de politique économique et sociales, pour de nombreuses années, soient établies par ces mêmes institutions sous formes de conditionnalités. L’enjeu est donc extrêmement important.

Les critiques se concentrent sur deux axes : le contenu des recettes recommandées, d’une part, et le manque d’inclusion des nouveaux acteurs sociaux et économiques dans la définition de ces recettes.

La conception de la BERD sur la réforme se réduit simplement à la privatisation et à la libéralisation, louant la période 2004-2008 comme étant une période de réforme quasi exemplaire, allant même jusqu’à qualifier la libéralisation externe de « success story ».[2] L’évaluation oublie de rappeler dans quelles circonstances se sont déroulés les programmes de privatisation et leur caractère corrompu. Des pans entiers du secteur et des biens publics, y inclus l’extraction du gaz et les ressources en eau ont été réservées à un cercle restreint de bénéficiaires très proches du régime.

L’Egypte a connu son plus grand nombre de manifestations à caractère socio-économique dans la période 2004-2010. Il est admis que si un nombre aussi important d’Egyptiens sont descendus dans la rue depuis janvier 2011, mouvements accompagnées de grèves  plus ou moins généralisées, c’est en raison de revendications avant tout à caractère socio-économique : la distribution inégale des revenus de la privatisation, la chute spectaculaire des salaires en terme de pouvoir d’achat et la corruption perceptible à tous les niveaux en sont les moteurs principaux.

L’évaluation recommande de s’attaquer à d’autres secteurs socialement et politiquement sensibles comme la distribution d’eau, les routes et l’électricité. Ce sont des politiques qui ont prouvées être désastreuses pour les majorités pauvres en Asie et en Amérique Latine. Ces recommandations sont d’autant plus dommageables qu’elles s’inscrivent dans le programme de gouvernements issus de la révolution de 2011, et qui seront en principe dans une position relativement faible avec de nombreux problèmes à traiter.

Les priorités de la BERD se concentrent sur des projets dans le secteur financier, les infrastructures et l’énergie. On ne parle guère de projets qui s’attaquent aux urgences de développement en Egypte que sont par exemple le recul de l’extrême-pauvreté et la situation de la femme en général. Il faut noter que les trois secteurs précités étaient déjà les principaux secteurs pour lesquels les plus grands emprunts se contractaient sous le régime de Moubarak. Le plan rejoint également exactement les zones de priorité établies par la Banque Mondiale. Elles sont toutes défaillantes sur les priorités que devraient être la création d’emploi et l’amélioration de la qualité de la vie.

Sur un autre angle, la BERD semble ignorer, comme la plupart des institutions financières internationales, que l’objectif de la révolution de janvier 2011 est de mettre un arrêt à l’autoritarisme, ce qui signifie que les politiques publiques doivent désormais être l’objet de débats politiques entre les différents acteurs politiques et sociaux de la société, et non par quelques technocrates nommés par le gouvernement ou actant au sein de ces institutions internationales. Les priorités établies par tout investissement extérieur doit se faire en parfaite cohésion avec les priorités à fixer par un gouvernement issu d’élections démocratiques et un dialogue social, ce qui n’est visiblement pas le cas.

Source:
European Bank for Development Encourages Egypt to Pursue its Pre-Revolution Privatization Schemes, The Egyptian Initiative for Personal Rights, 7 March 2012.


[1] Egypt’s Request for Country of Operations Status - Technical Assessment, Banque Européenne de Reconstruction et de Développement. Novembre 2011.
[2] Page 15 du rapport, op.cit.

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