Divisions sur la Constituante et enjeux pour le CSFA
L’un des objectifs de la junte militaire dans
la rédaction de la nouvelle constitution égyptienne par une assemblée constituante
qui a été formée mais qui est largement
contestée, consiste à conserver une sorte d’immunité dans le nouvel ordre
institutionnel établi par cette constitution. Le fond de cet article est
largement inspiré par un autre article paru hier dans Al Ahram online, et signé
par « Hani Al Assaar », qui résume très bien la situation[1].
Lors de l’établissement d’une nouvelle
constitution, le rôle des forces armées est toujours l’un des sujets de plus
gros contentieux et il est évident que l’Egypte n’y échappe pas. Les deux forces
politiques majeures actuellement en Egypte sont le Conseil Militaire, qui
détient l’usage, incontesté, de la force et de la violence, et les partis et
mouvements islamistes, grands vainqueurs des élections. Il est donc naturel que
dans cette période de changement, chacun tente de placer ses pions dans un
environnement qui risque d’être figé après cette fenêtre d’ouverture de débat
plus ou moins exceptionnelle dans l’histoire égyptienne. Le pouvoir militaire
est enclin à conserver la plus grande partie de ses prérogatives
exceptionnelles qu’il détient depuis quasi 60 ans en Egypte, et notamment,
préserver son immunité judiciaire. Les Islamistes voient leur victoire
électorale comme une consécration et un moment unique pour tenter d’influencer
la nature officielle de l’Etat égyptien et par là, les conditions idéales pour
capitaliser et établir un environnement propre à conserver leur influence (car l’Egypte
est déjà socialement profondément islamisée, mais c’est un autre débat). A
priori, on pourrait dire qu’un deal soit possible entre les deux forces
principales, chacun obtenant l’essentiel de ses demandes, notamment de la façon
suivante.
Selon l’article en question, qui relate les
propos d’un conseiller proche des autorités, le Conseil Militaire verrait à la
tête de l’Etat un Conseil de Sécurité National, un peu sur le modèle américain,
en vue de protéger ses intérêts. Ce conseil contiendrait par exemple le
Président de la République, le Premier Ministre, le Ministre des Affaires
Etrangères, de la Défense et de l’Intérieur, ainsi que des leaders clés de l’armée,
comme par exemple le Chef des Armées, le Chef de l’Intelligence etc. Ce Conseil détiendrait certaines prérogatives
de l’exécutif et le contrôle sur des sujets importantes comme les nominations
au sein de l’armée, le niveau et l’utilisation du budget de la défense, les
décisions de politique étrangère et de défense nationale. Ce Conseil se
situerait au-delà du contrôle parlementaire et ses membres bénéficieraient de l’immunité
judiciaire.
Pour faire passer ce plan, le Conseil Militaire
userait de « bâtons et de carottes » avec les tendances principales
qui traversent pour l’instant l’Egypte « postrévolutionnaire ». Par
exemple, face aux forces islamistes, il peut garantir la conservation de l’article
2 de la Constitution qui postule que l’Islam est la religion de l’Etat
égyptien, l’Arabe est sa langue officielle et que la loi islamique est sa
source principale de législation. Par contre, vis-à-vis des forces laïques,
libérales et coptes, il peut se porter garant que la constitution ne consacre
pas une Egypte qui serait plus institutionnellement islamisée, ou que l’article
2 fasse plus explicitement référence à une forme plus rétrograde de la charia.
Ce scenario, où le Conseil Militaire joue un
rôle de médiateur, peut capoter dans plusieurs cas. Par exemple, si les Islamistes
passent outre et décident de s’unir et de
ne pas suivre le Conseil Militaire dans cette idée de Conseil National et d’immunité
judiciaire. Les Frères Musulmans pourraient aussi s’entendre, dans un processus
long et pénible certes, directement avec les forces libérales sur l’article 2
de la Constitution et ne plus avoir ainsi besoin du Conseil Militaire comme
organe médiateur. Ou même, à l’opposé, quid si les forces islamistes décident
malgré tout d’islamiser la Constitution et faire de la charia un principe de
droit supérieur absolu, un peu à la Saoudienne[2].
L’ambiance s’est fortement détériorée ces
derniers temps entre tendances libérales et laïques, d’une part, et tendances
islamistes, d’autre part, au bénéfice du Conseil Militaire. L’idée d’un pouvoir
politique civil souverain s’éloigne avec ce désaccord qui tient plus, à mon sens, de la
posture identitaire que de réels intérêts politiques, économiques ou sociaux. D’aucuns
disent aussi que le pouvoir militaire et les forces islamistes parviendront à
un équilibre d’intérêts, mais que cette nouvelle constitution aurait une durée
de vie limitée car elle repose sur des intérêts politiques immédiats.
[2] Voire à ce sujet un article sur le site de
l’institut MEDEA, qui explique les divers degrés d’application de la loi
islamique: http://www.medea.be/2011/10/sharia-et-occident-entre-prejuges-et-legitimes-preoccupations/