Paris, Bruxelles : les attentats ici, la guerre là-bas



Les attentats de Bruxelles nous montrent que des milliers de soldats dans les rues, des murs à nos frontières, des peines "exemplaires" de déchéance de nationalité, la mise sous écoute des citoyens et l’état d’urgence ne changeront rien fondamentalement au risque terroriste tant qu'il y aura des guerres et des dictatures aux portes de l’Europe.

« Quand tout ceci va-t-il s’arrêter ? » voici une question qui est revenue en boucle depuis quelques jours suite aux attentats de Bruxelles revendiqués par l’organisation Etat Islamique (EI), qui succèdent de quelques mois à ceux de Paris. Bien sûr, il faut des mesures sécuritaires proportionnées et adéquates pour protéger efficacement la population, il faut lutter contre la radicalisation, il faut investir dans la prévention et la cohésion sociale. Tout ceci est très bien, mais la source du problème est ailleurs. 

On peut en effet tourner le problème comme on veut : autant les attentats de Madrid (2004) et de Londres (2005) trouvaient leur source dans la guerre en Iraq de 2011, autant ceux de Bruxelles et Toulouse (2014), Paris (2015) et re-Bruxelles (2016) trouvent, là, maintenant, leur origine en Syrie.

En 2011 démarre le printemps syrien, suivi très vite par une répression féroce du régime et la guerre civile que l’on connaît. La révolution a été confrontée à une double contre-révolution : celle mise en place par le régime et ses milices supplétives, et celle menée par Al Qaeda et ensuite l’Etat Islamique (EI), organisation qui va chercher son origine dans l’intervention de la coalition menée par les Etats-Unis en Irak. Pour nous en Europe, de lointaine et extérieure, la guerre est ainsi devenue proche et intérieure.

D’abord, la proximité a engendré l’afflux, par centaines de milliers, de réfugiés qui ont fui les bombes du régime et les zones de combat, l’instabilité et la corruption galopante[1]. Des milliers d’entre eux, par familles entières, se sont noyés dans la Méditerranée. Cette crise de l’accueil[2], au-delà de la situation inacceptable et absolument horrible qu’elle engendre pour les migrants, a un impact très fort sur la situation politique de plusieurs pays européens et la montée et le renforcement des partis populistes.

Ensuite, l’EI et certains autres groupes islamistes armés se sont renforcés en grand nombre de combattants étrangers. Des jeunes européens, perdus, certains en quête « d’idéal », peu importe leur condition[3] se sont trouvés embrigadés dans un conflit qui les a transformés en chair à attentats. Certains ont commencé à revenir et certains parmi ceux-là, avec les conséquences funestes que l’on sait.

Quelles que soient les conclusions de l’enquête sur la chaîne de commandement, l’origine de ces opérations est la situation en Syrie. Nous avons des motivations aussi bien pragmatiques que morales de nous mêler à ce qui s’y passe. Il y a les 270.000 victimes et un pays dévasté, les millions de réfugiés dans la région[4]. Tant que la situation sur le terrain ne sera pas stabilisée, cela ne s’arrêtera pas. Et de ce côté-là, les nouvelles sont plutôt mauvaises.

Une trêve sous l’égide des Nations Unies est en cours en Syrie depuis le 27 février, après une campagne de  frappes massives russes contre des civils et zones détenues par l’opposition. Depuis la fin septembre, moment de l’intervention aérienne russe massive en Syrie, nous avons vu les forces de l’opposition se faire décimer sous les bombes étrangères et les forces gouvernementales. Aucun bastion n’a été repris à l’EI par le régime, sauf Palmyre il y a quelques jours.  Beaucoup d’observateurs estiment cette reprise fragile, dans la mesure où Moscou est dans un processus de retrait en Syrie et vu l’état de l’armée régulière. Depuis le début de cette trêve, les manifestations pour le changement de régime en Syrie reprennent de plus belle dans les zones libérées.

Comme en Irak, on a assisté dans les deux dernières années à une communautarisation du conflit. L’armée régulière présentée souvent à bout de souffle a été épaulée par des milices étrangères de « l’arc chiite »: Hezbollah, milices irakiennes, aide militaire officielle, et officieuse selon les cas, iranienne, afghane, pakistanaise, yéménite…  De leur côté, les Occidentaux ont abandonné l’opposition politique et armée, laissant des tribus sunnites désemparées dans certaines zones.

A l’heure actuelle, on est devant un schéma explosif dans la région : instabilité en Turquie, le Liban submergé de réfugiés. En Egypte, la dictature s’est reformée et s’abat de manière encore plus violente que la précédente. La coalition internationale emmenée par l’armée saoudienne bombarde le Yémen depuis des mois, le conflit s’enlise. Israël continue de plus belle sa politique de constructions de colonies illégales. La fabrique du terrorisme tourne à plein plot.

La priorité pour l’heure serait de mettre fin au conflit syrien, l’une des clefs de la région, et après  53 ans[5] de dictature ininterrompue. Mais plus de guerres engendrant plus de terrorisme, on ne fera donc pas de plaidoyer pour de nouvelles interventions militaires.

La Russie a reçu un blanc seing pour intervenir en faveur du régime. Il serait urgent de faire pression, et d’y mettre le prix adéquat, pour que cette intervention cesse. Il faut un accord de partage du pouvoir entre communautés ethniques, religieuses et géographiques… Dans une telle dynamique, soutenue par un programme massif d’investissements et de reconstruction, les Syriens eux-mêmes éradiqueront ce cancer étranger que constitue l’EI. Plutôt que de nouvelles guerres couteuses, aux conséquences incertaines au vu de relations régionales tendues, et qui créeraient probablement les terroristes de demain, c’est dans ce processus qu’il faut investir.



[1] D’après les nombreux témoignages de candidats réfugiés irakiens et syriens rencontrés en Belgique, peu de personnes invoquent L’EI lors des conversations.
[2]  L’incapacité des pays européens à absorber l’afflux en raison de la fermeture généralisée des frontières et des places d’accueil en raison des politiques d’austérité, comme par exemple en Belgique.
[3] Voir motamment la recherche de Mohssin El Ghabri et Soufian Gharbaoui, Qui sont ces Belges partis combattre en Syrie ?, Etopia, juin 2014.
[4] Selon Handicap International, un bilan de cinq ans de conflit: 250 000 morts, 1 million de blessés, 13,5 millions de personnes dépendant de l'aide humanitaire à l'intérieur de la Syrie et 4,6 millions de réfugiés dans les pays voisins.
[5] Il n’y a plus eu d’élections démocratiques et multi-partites en Syrie depuis l’accession du parti Baas au pouvoir en 1963.

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